III. LE VIDE MEDIAN

1. Partons des classiques
Pour illustrer notre propos voici un texte du Dao De Jing qui intègre les notions de Dao, Yin-Yang et de vide médian : Voici deux traductions du chapitre XLII du Lao-Tzu. :

Le Tao ou Dao est ici conçu comme le vide suprême d’où émane l’Un
et qui n’est autre que le souffle primordial.
Du Un vient le deux c’est à dire le Yin et le Yang.
Mais Yin et Yang n’est pas encore dans le manifesté
Le Trois c’est la relation entre le Yin et le Yang qui en fait une unité, retour à l’Un.
Comme l’écrit J.A. Lavier
Yin + Yang + leur rapport = 3 et 3 = 1

 D’après François Cheng :
Et Trois représente la combinaison des souffles vitaux Yin et Yang et du vide médian.
Ce vide médian, un souffle lui même, procède du Vide originel dont il tire son pouvoir.

C’est lui, le vide médian, qui permet aux deux souffles vitaux yin et yang de rentrer dans une dynamique créatrice où il se transforme l’un en l’autre. Sans lui, le Yin et le Yang se trouveraient dans une relation d’opposition figée ; ils demeureraient des substances statiques comme amorphes.
C’est cette relation ternaire entre yin, yang et le vide médian qui donne naissance et sert de modèle aux dix mille êtres.

Car le vide médian qui réside au cœur du couple yin-yang réside également au cœur de toutes choses.
Il maintient toutes choses en relation avec le vide suprême (Xu) leur permettant d’accéder à la transformation interne et à l’unité harmonisante.

2. Précisons un peu cette notion de vide médian dans la pensée chinoise

Si la notion de vide est présente dans la tradition chinoise dès l’origine avec le livre des mutations (Yi jing),
ce sont les écoles taoïstes qui en ont fait l’élément central de leur système à travers les ouvrages bien connus de
Lao-Tzu et de Zhuang-Tzu (respectivement VIIIè et IVè siècle avant notre ère)

On peut distinguer deux statuts du vide donnés en chinois par deux termes Wu et Xu
Ces deux termes sont souvent confondus même chez des auteurs comme Lao-tzu et Chuang-tzu
Wu s’oppose à you qui signifie avoir, ainsi wu est souvent traduit par non avoir ou Rien
Xu est opposé à shi traduit par plein.

Ces 2 notions sont très proches et interfèrent sans cesse
Le vide Xu est l’état suprême de l’univers et Wu l’élément central dans le rouage du monde des choses.
C’est ce dernier sens qui va nous intéresser d’abord dans notre pratique sans qu’on puisse séparer ces deux notions.
En effet, selon les taoïstes cette double nature du vide n’est pas contradictoire puisque le statut originel du vide garantit aussi l’efficace de son rôle fonctionnel.

Ce vide médian peut prendre différents aspects selon les situations :
– Le jeu entre des pièces d’un mécanisme,
par exemple entre le tiroir et les montants d’une commode ; sans ce jeu le tiroir reste bloqué.
Les piliers de la cité interdite supportent un toit extrêmement lourd. Au sommet des ces piliers des pièces de bois astucieusement conçues et entrecroisées avec un peu d’espace entre elles autorisant ainsi de petits mouvements entre elles, expliquent qu’elles ne se sont pas brisées lors de plusieurs secousses telluriques.
– Dans l’architecture chinoise on utilise une fausse équerre basée sur le triangle
de côtés 4 ; 8 ; 9 comme triangle rectangle alors que :
      4 au carré  + 8 au carré  = 80 et non 9 au carré (9×9) soit 81 comme le laissait prévoir le théorème de Pythagore.
– En musique les silences entre les notes et le silence qui est le fond inaltérable sur lequel se forment les notes nous renvoie au vide médian.
– L’écran sur lequel sont projetés des films et qui n’est pas altéré par les images qui défilent.
– Dans la peinture chinoise il y a souvent beaucoup d’espaces vides qui, nous le sentons bien, n’est pas une présence inerte mais est parcouru par des souffles reliant le visible et l’invisible.
Dans cette peinture, Le couple Montagne-Eau est relié par le vide qui les relie et les met en relation dynamique de devenir réciproque.

3. Le vide médian dans notre pratique

Ce sont les espaces intra-articulaires remplis de liquides qui en permettent leur bonne utilisation sans douleurs.
C’est pourquoi dans les postures de Wu Ji ou de l’arbre il est conseillé d’ouvrir les articulations, de leur laisser leur liberté, leur jeu.
Dans notre pratique énergétique c’est cette petite liberté que l’on se donne pour adapter un mouvement à sa morphologie ou son ressenti et qui permet l’adaptation optimum sans blocage.

C’est l’acceptation de ces petits écarts par rapport à la perfection théorique ou technique qui permettent de rester souple et dans l’écoute de ce qui nous fait du bien.
Dans le Tuishou ou poussée des mains c’est notre adaptabilité à l’autre.
C’est aussi notre souplesse mentale si difficile à acquérir qui permet de laisser être pour s’adapter aux circonstances de la vie, aux personnes si différentes que nous rencontrons.

Dans nos formes de Tai Chi Chuan ou Qi Gong, ce sont ces espaces entre les mouvements yin et yang ou l’inverse dont on ne sait plus si ils sont yin ou yang et qui ont une saveur particulière si on est alors vraiment présent, écoutant.
En méditation, c’est la suspension non volontaire du souffle, de la respiration entre à la fin de l’inspiration et à la fin de l’expiration.